Un bronze inédit portant la légende DVNOTAL en pays éduen

par

LOUIS-POL DELESTRÉE & HUGO TAITTINGER

Société d’Études Numismatiques et Archéologiques
Cahiers Numismatiques n°211 – mars 2017

 

Un petit bronze original (1,88 g, 15 mm, fig. 1), issu d’une collection privée, est venu récemment à notre connaissance. Il aurait été trouvé naguère aux environs du village de Saint-Éloi (Nièvre) en dehors de tout contexte (1) et de tout site archéologique identifié.
En très bon état de conservation, ce petit bronze léger présente un triple intérêt : le type était inconnu jusqu’à ce jour, le buste figurant au droit porte un casque dessiné avec une telle netteté qu’il peut être identifié et daté avec une certaine précision et le revers offre une légende inédite.

Description

Au droit, profil masculin à gauche d’une grande finesse, au nez droit, à l’oeil rond dont la pupille est très marquée et à l’oreille en fort relief ; autour du cou, torque dont un tampon est bien visible sous le menton. Derrière la nuque, sorte de petite natte perlée. L’effigie est coiffée d’un casque dont la typologie fera l’objet d’un commentaire spécifique. Dans le champ, de part et d’autre du profil, deux annelets non centrés.
Au revers, cheval à gauche à la crinière perlée. Devant le poitrail à gauche et entre les jambes du cheval, deux annelets centrés d’un point. Au-dessus, à droite de l’encolure, annelet non centré sous le V d’une légende DVN- aisément lisible de gauche à droite et sous le cheval, TAL- de gauche à droite, pied des lettres centrifuge. Grènetis régulier sur le pourtour à gauche du flan.

La légende

L’on est en présence d’un mot composé DVN (O)-TAL (OS). Chacun des deux termes de DVN (O)-TAL est tout à fait net, à l’exception de la lettre O après DVN (O)- qui pose problème : un léger décentrage de la frappe vers la droite ne permet pas de relever une éventuelle trace du O sur le bord du flan, mais le graveur ne disposait pas là d’une place suffisante entre le N et le haut visible de la queue du cheval. Il se pourrait plutôt que le O ait été figuré sous le V de DVN- : cet « annelet » paraît se distinguer des deux autres, car il n’est pas centré d’un point.
Si le mot TALO- désigne « le front » dans tous les sens du terme (2), le mot DVNO- est susceptible de deux interprétations (3) :
Il peut s’agir d’une forme assimilée du nom bien attesté de DVBNO-TALVS (CIL XIII 4711) et aussi de DVMNO-TALVS (CIL III 10514) en Pannonie. Quant à notre légende, le B/M lénifié peut avoir fusionné avec le V qui précède. On obtiendrait ainsi la séquence DVBNO-TALOS > DVMNO-TALOS > DVVNO-TALOS > et enfin DVNO-TALOS que X. Delamarre, consulté, traduirait par « front ténébreux » (DVBNO- = monde d’en bas, ténèbres).
Mais le mot DVNO- peut, sous cette seule forme, signifier « le fort, le camp fortifié ». Selon X. Delamarre, on aurait un « front-castel », front-fort de première ligne face à l’ennemi. Il s’agirait alors d’un toponyme, si peu fréquent en épigraphie monétaire gauloise. Aussi bien connaissons–nous chez les Éduens le quinaire portant le NP de VIIPO-TAL (OS) (DT 3215-3216) (4) et la forme VEPO-TALVS (5) qui signifie sans doute « front-voice » c’est-à-dire le guerrier de première ligne qui hurle pour impressionner l’ennemi. Dans ce cas, TALO- au sens de « front » prendrait comme en français le sens de première ligne devant l’adversaire.
En conclusion, de préférence à un toponyme, nous privilégions un nom de personne dont la qualité militaire serait attestée par la figuration, sur le profil du droit de la monnaie, d’un casque très réaliste que nous allons spécifiquement étudier.

Le casque

Il est rare qu’une monnaie gauloise offre la figuration d’un casque aussi nette et typique : trop souvent en effet, l’on ne peut préciser quels détails des armes réelles ont été reproduits par le graveur.
En l’état, l’étude des casques antiques (6) permet de rattacher le casque de notre monnaie à deux types possibles :
– On peut comparer ce timbre hémisphérique, au rebord horizontal débordant, au casque de type « celtique occidental » bien daté de 60-40 av. J.-C. (7). Les casques de ce type présentent souvent un second renfort en relief au-dessus de celui formant le rebord et qui n’apparaît pas sur la monnaie. Ce type devrait être cependant pourvu de couvre-joues (paragnathides) absents sur notre figuration.
– Un casque en simple calotte hémisphérique, généralement sans couvre-joues, pourrait correspondre au type de Mannheim-Coolus (8) mais sur lequel le rebord est moins marqué et se prolonge en couvre-nuque.
Ces deux types se situent sur deux périodes successives : le type de Mannheim-Coolus qui remonte à la fin du IIe siècle av. J.-C. a été utilisé jusqu’à César, tandis que le type « celtique occidental » se situe dans la période 60-40 av. J.-C., c’est-à-dire précisément pendant la guerre des Gaules. Cela dit, ces deux types de casques étaient encore utilisés au début de la période post-césarienne. À notre sens, la référence au premier type « celtique occidental » paraît préférable, sans certitude absolue en raison de l’habituelle stylisation des images monétaires.

Datation et attribution

Sans aucun contexte archéologique disponible, la datation du bronze de DVNOTAL- est bien sûr malaisée. Cependant, de nombreux indices militent en faveur d’une émission très tardive : le très faible poids, la graphie latine bien régulière de la légende et la chrono-typologie du casque donnent à penser que la période post-césarienne doit être privilégiée.
Par ailleurs il n’est pas possible d’hasarder une quelconque attribution pour ce petit bronze : la légende semble bien ne pas se rapporter à une communauté identifiable, moins encore à une « cité ». Là aussi, cette monnaie à notre connaissance unique paraît être le fait d’une émission locale, réalisée par un atelier itinérant sur les territoires éduens et dont l’artisan graveur et les monnayeurs étaient fort habiles, comme en témoigne l’indéniable qualité des compositions iconographiques.

 

Notes

(1) Selon notre correspondant, le possesseur en seconde main avait signalé que ce petit bronze aurait été trouvé dans la proximité de deux autres pièces que nous n’avons pas vues et dont aucun cliché ne nous a été présenté. Il s’agirait sans aucune certitude d’un potin dit « au mannequin » et d’un quart de statère en électrum réputé éduen (?).
(2) X. DELAMARRE, Dictionnaire de la langue gauloise, Paris, 2003 (2e éd.), p. 288-289.
(3) Ibidem, DVBNOS-DVMNOS, p. 151-152, DVNON p. 154-156.
(4) Une lecture VIIROTAL, parfois avancée, n’a pas été démontrée et serait à notre sens dépourvue de signification.
(5) X. DELAMARRE, Noms de personnes celtiques dans l’épigraphie classique, Paris 2007, p. 195.
(6) M. FEUGÈRE, Casques antiques : les visages de la guerre de Mycènes à la fin de l’Empire romain, Paris 1994. Nous remercions vivement M. Feugère d’avoir bien voulu nous donner son avis motivé sur la typologie du casque figurant sur le petit bronze de DVNOTAL.
(7) CSQ sur Artefacts 3008.
(8) CSQ sur Artefacts 3003-3014.