La série en or au type du « décor bouleté » au nord de la Celtique : essai de synthèse

par

LOUIS-POL DELESTRÉE

Société d’Études Numismatiques et Archéologiques
Cahiers Numismatiques n°213 – septembre 2017

 

Une série en or, éligible au système de l’hémistatère et non identifiée avant 2004, a déjà fait l’objet de plusieurs publications en regard de données successives et riches d’enseignements. Mais de nombreuses lacunes subsistaient tant sur l’origine et l’évolution typologique de cette série que sur sa localisation. L’apport récent d’importantes monnaies prototypiques et inédites, issues de collections privées, nous conduit à reprendre l’étude de cette série, qui paraît à présent constituer un ensemble monétaire dont les émissions diversifiées se sont succédé au sud de la Seine jusqu’à la Loire moyenne sur une durée beaucoup plus longue que nous le pensions naguère.
Il nous semble indispensable de rappeler brièvement l’état de l’existant avant de présenter les éléments nouveaux qui autorisent, à notre sens, un premier essai de synthèse.

 

I) HISTORIQUE DES CONNAISSANCES

1) Dans le Nouvel Atlas t. II, publié en 2004, nous avions rangé dans une série spécifique deux hémistatères unifaces (1) montrant au revers deux chevaux à droite surmontés d’un aurige et sous les chevaux, un décor original de cinq rangées de globules occupant la moitié du flan. Les provenances au nord-ouest de la Celtique laissaient présumer une émission tardive en territoire carnute : une telle vision s’avère inexacte.

2) L’afflux de données nouvelles justifia, fin 2005, l’élaboration d’une série en or considérée comme originale dans la région de Dreux (2). La composition du revers des statères unifaces, inspirée par l’ancien thème du bige représenté au revers des premières imitations de Philippe, était caractérisée par la présence de ce décor bouleté formé par un jeu de globules figurant initialement les jointures et les sabots des deux chevaux initiaux auxquelles s’ajoutèrent d’autres globules, au point que les jambes des chevaux ne furent plus distinctes du décor (DT 2562).
Par ailleurs, une information majeure avait pris place en amont de la série déjà nombreuse des unifaces : plusieurs hémistatères bifaces étaient en effet venus au jour (3) dont l’un (4) montrait distinctement au droit le profil apollinien à droite pourvu d’une oreille proéminente formée par un arc de cercle bouleté aux extrémités et centré d’un globule, et au revers le décor bouleté sous l’attelage de deux chevaux bien distincts.
S’ajoutaient à l’effectif connu plusieurs hémistatères et quarts de poids plus faible, en or bas et ultra stylisés (5) dont les émissions semblaient plus tardives que celles des classes déjà connues.

3) C’est en 2013 que fut publié (6) un coin monétaire provenant d’Arquian (Nièvre) destiné à frapper des quarts ultra stylisés au « décor bouleté ». Plusieurs exemplaires de ce type avaient en outre été trouvés à l’est de l’Eure-et-Loir et dans l’Aube. Dès lors, il devenait évident que des émissions du type au « décor bouleté » avaient eu lieu, au moins à l’époque tardive, bien à l’est de la région de Dreux.

 

II) NOUVEAUX APPORTS PROTOTYPIQUES

Sur une période déjà prolongée, il semblait que l’on eût de cette série enfin dénommée une vision assez complète. Toutefois, à l’origine des émissions d’unifaces, le seul prototype biface connu, malheureusement sans provenance précise, était l’exemplaire DT S 2543 A précité, dont les empreintes étaient distinctes mais fort usées au point que l’effigie du droit pratiquement lisse pouvait apparaître, peut-être à tort, non laurée. Sur d’autres exemplaires, le droit pratiquement lisse ne laissait entrevoir que d’infimes vestiges du profil.
Or, plusieurs exemplaires prototypiques, parfaitement lisibles, sont venus à notre connaissance et nous allons les passer en revue.

A) Hémistatère, bel or jaune, 4,07 g, 18 mm, trouvé naguère « aux environs de Neufchâtel-en-Bray (Seine-Maritime) sans autre précision, en exceptionnel état de conservation (fig. 1).
Droit : profil apollinien non lauré à droite. La chevelure est faite de mèches en S aux boucles enroulées, parsemée de globules dans les parties libres du flan. Autour de l’effigie, du nez à la nuque, décor élaboré de S à l’envers, étirés. L’oreille très marquée est centrée d’un globule. Entre l’oreille et l’arcade sourcilière, amorce d’un décor montrant un globule entre deux boucles opposées. Sous la base du cou, en fort relief, fin décor fait d’une boucle et d’un signe ovale étiré parsemé de globules.
Revers : bige à droite aux deux chevaux bien distincts, dont les huit jambes et les sabots sont figurés par des globules formant un ensemble décoratif déjà élaboré. Derrière, à gauche, roue ovale dont le décor central comporte une roue plus petite incluant une croix dont les cantons sont centrés d’un globule. Au-dessus de la roue, aurige au bras droit démesuré prolongé par une main aux longs doigts tous représentés. La chevelure de l’aurige est prolongée par une longue natte et le nez, par un S étiré à la boucle supérieure enroulée. Sous la ligne de terre, vestiges de la légende de Philippe comprenant des I et des Π aux extrémités bouletées. Tout autour de flan, au lieu et place d’un grènetis, signes décoratifs en S, croissants, globules et petits cercles.

B) Hémistatère, or, 4,18 g, 16 mm, Dreux (Eure-et-Loir), fig. 2, en très bon état de conservation. (fig. 2).
Droit : profil apollinien lauré à droite, dont la base du cou est en fort relief. La chevelure, très élaborée, est faite de plusieurs petits croissants sous la couronne à trois rangées de feuilles de laurier et au-dessus, de fines mèches en croissant imbriquées les unes dans les autres. L’oreille en demi-cercle, très marquée, est centrée d’un globule. Entre l’oreille et l’oeil, sur la joue, motif d’une extrême finesse formé de deux S opposés et souligné par un petit signe ovale.
Revers : bige à droite dont les deux chevaux sont bien visibles ; dessous, les jointures des huit jambes, figurées par des globules, forment un décor bouleté. Derrière le bige, roue ovale centrée d’un point. Au-dessus, derrière la croupe des chevaux, aurige au long bras droit qui brandit une couronne perlée. Sous la ligne de terre, rappel de la légende de Philippe dont les lettres, bouletées aux extrémités, ne sont plus que des motifs décoratifs.

Les compositions des droits et revers sont fortement celtisées.

C) Hémistatère, or, 4,03 g, 14 mm, environs de Dreux (Eure-et-Loir) (fig. 3)
Droit et revers analogues à ceux de l’hémistatère précédent, mais non issus des mêmes coins. Au droit, le fin motif sur la joue a disparu ; les autres éléments des compositions des droits et revers sont inchangés.

D) Quart de statère, bel or jaune, 2 g, 12 mm, Les Osmeaux, Dreux (Eure-et-Loir), (fig. 4).
Droit : profil apollinien à droite, non lauré, à la coiffure élaborée. Prenant naissance sur la joue barbue, une longue mèche courbe, en forme de corne figurée par une sorte de palme, se prolonge en arrière de la nuque ; l’oreille en fort relief est semblable à celle des hémistatères précédents. La base du cou est très marquée.
Revers : Cheval seul à droite ; dessous, les globules figurant les jointures des jambes annoncent un décor bouleté. mais sans certitude en raison du mauvais état de l’empreinte du revers de la monnaie. Au-dessus de la croupe, aurige peu distinct ; sous la ligne de terre, amorce de lettres dégénérées sur le bord du flan.

 

III) ESSAI DE SYNTHESE

1) L’ensemble typologique
L’hémistatère A non lauré (fig. 1) de style superbe et très « celtisé », annonce les hémistatères laurés B (fig. 2) et C (fig. 3) plus stylisés, avec un motif plus élaboré à droite de l’oreille.
Les deux critères principaux, déjà bien nets sur l’exemplaire A, sont au droit l’oreille caractéristique en demi-cercle centré d’un globule et au revers, le décor bouleté dont les globules sont en plus grand nombre que les jointures et les sabots ponctuant les huit jambes des chevaux accolés. D’autres détails secondaires sont communs aux trois pièces et à l’exemplaire DT S 2543 A précité, tel que l’aurige au long bras droit brandissant une baguette (?) ou encore l’oeil de l’effigie à l’arcade sourcilière proéminente.
Les hémistatères initiaux comportent des divisions dont le quart DT S 2543 B apparaît comme une réduction modulaire des hémistatères B et C et dont il reproduit les caractéristiques principales : au droit, l’oreille en demi-cercle pointé d’un globule, et au revers le décor bouleté sous les deux chevaux distincts. Plusieurs quarts n’offrent qu’un seul cheval au revers mais montrent au droit l’oreille caractéristique : ces quarts ne constituent pas, comme nous le pensions naguère, une série distincte (7), mais seulement des variétés se rapportant au quart S 2543 B précité.
Il est en outre vraisemblable que le quart lourd D (fig. 4) pourvu au droit de l’oreille caractéristique et au revers (en mauvais état) du décor bouleté, dérive également de la série initiale.
Toutes ces espèces de type biface (Groupe A) constituent à notre sens la phase prototypique des émissions précocement unifaces « au décor bouleté » (Groupe B) comportant elle-même plusieurs « classes » ou variétés, et des émissions finales au type ultra stylisé (Groupe C) auxquelles se rapporte le coin d’Arquian, selon l’inventaire évolutif que nous proposions en 2005 (8) et dont la première phase était très lacunaire.

2) La situation géographique de l’ensemble
En 2005, compte tenu des éléments dont nous disposions, la distribution des espèces connues s’ordonnaient nettement autour de la ville de Dreux avec une légère extension vers le sud-est (9). Les données nouvelles permettent de renforcer et d’affiner cette proposition .Il est clair que les hémistatères et divisions bifaces du groupe A ont été émis et ont circulé entre Seine et Loire comme en témoignent les témoins trouvés autour de Dreux en nombre non négligeable et ont généré sur place des exemplaires unifaces en or allié et de beau style, hémistatères (fig. 5 et 6) quarts (fig 7) et huitième de statère (10).
La présence dans la Nièvre du coin d’Arquian et des quarts homotypiques qui l’accompagnaient montre que le type au décor bouleté, dans sa forme ultra stylisée, (fig. 8-9) fut émis jusqu’à la Loire moyenne. L’expansion de l’ensemble, par l’intermédiaire d’ateliers mobiles, aurait donc eu lieu d’ouest en est entre Seine et Loire.
Il serait donc vain d’attribuer cet ensemble à un peuple déterminé. Comme il apparaît, la source des premières émissions du type « au décor bouleté » est localisée autour de Dreux : cette région se situe aux confins de plusieurs peuples tels que ceux des Aulerques, des Parisii et des Carnutes, s’ils occupaient bien à la haute époque les mêmes territoires que ceux reconnus au Ier s. à l’aube de la Guerre des Gaules. Pour les raisons déjà exposées en 2005 (11), l’on ne peut avec certitude attribuer la série biface (Groupe A) et ses épigones unifaces du Groupe B à un peuple « durocasse » dont l’existence même n’est pas établie à l’époque de l’Indépendance et dont le nom, en définitive, n’est qu’une extrapolation de DVROCASSIO pour Dreux que révélait la Table de Peutinger au cours du IIIe s. p C.
Le pouvoir émetteur des hémistatères prototypiques du groupe A n’était, à notre sens, pas d’origine civique. Ces pièces ont sans doute été émises par un atelier mobile et régional pour le compte d’un monétaire aristocrate ou notable et le type « au décor bouleté » fut repris et amplifié sur les dérivés unifaces par des ateliers successifs et itinérants, au moins jusqu’à la Loire moyenne.

 

IV) LA DATATION

L’on se heurte ici au problème habituel des monnaies recueillies, dans leur totalité, lors de ramassages de surface et dépourvues de contextes archéologiques exploitables (12).
En considérant les critères traditionnels et pondéraux, il semble bien que les émissions liées à cet ensemble se sont déroulées sur une assez longue durée, probablement du cours du IIIe s. jusqu’au début du Ier s. a C. Les hémistatères bifaces (Groupe A) en bon or, offrent un poids moyen > 4g et de 2g pour les quarts, c’est à dire conforme ou supérieur au poids moyen des statères- unité imités de Philippe de la « première génération » dont les auteurs placent la mise en circulation au début et au cours du IIIe s. a C (13).
Quant aux unifaces du groupe B, en bon or et de beau style, dont le poids moyen, encore élevé, se situe au-delà de 3,80g, il serait inexact de considérer que les émissions d’unifaces en Gaule ne furent que des monnaies de nécessité datant du début de la Guerre des Gaules : ce fut probablement le cas pour les innombrables unifaces du Belgium (Nouvel Atlas t. I, série 40, pl. XII-XIII) , mais non pour plusieurs séries d’unifaces non accidentels émis en Gaule Celtique au cours du IIe s. a C , et dont nous rappelons ici brièvement les types de référence :

1) Série d’unifaces du trésor de Tayac, où seul est empreint un revers imité des statères de Philippe (14).
2) Série des unifaces de la haute vallée de l’Orne (15)
3) Les statères « au Pégase » unifaces du Loiret (16)
4) Le quart lourd uniface des Vénètes (17)

Enfin, les hémistatères et quarts ultra stylisés du groupe C, en bas or, offrent des poids moyens sensiblement plus faibles que ceux des groupes précédents, soit 3 g pour les hémistatères et 1,6/1,7 g pour les quarts. À notre sens, ces dernières émissions sont tardives, sans qu’il soit possible, faute de contextes significatifs, d’en préciser la chronologie.

En conclusion, il semble bien que l’on soit en présence d’un ensemble monétaire dont une évolution typo chronologique est bien perceptible sur une durée de plus d’un siècle et dont la distribution géographique ne permet aucune attribution précise à un peuple historique ou non. Il est fort vraisemblable que les émissions successives, à partir de prototypes bien localisés, furent le fait d’un ou plusieurs ateliers itinérants dans la même région et qui s’inspirèrent de façon continue du thème « au décor bouleté » lequel devint le motif essentiel des derniers unifaces (18)
Le moment venu, avec l’appoint prévisible de nouvelles données, il conviendra de reprendre dans le détail tout l’effectif disponible et d’établir, dans chaque Groupe, une typologie fine assortie d’une carte de répartition aussi complète et précise qu’il sera possible.

 

Notes

(1) L.-P. DELESTRÉE et M. TACHE, Nouvel Atlas des monnaies gauloises, t. II, de la Seine à la Loire moyenne (= N.A.), 2004, Saint-Germain-en-Laye, série 502, Pl. XXII, DT 2562-2563.
(2) L.-P. DELESTRÉE et J. DE SAINTE-MARIE, « Une série en or originale dans la région de Dreux (Eure-et-Loire) », CahNum 166, décembre 2005, p. 15-24, pl. p. 17-18.
(3) Idem, fig. 1 à 6, pl. p. 17.
(4) Idem, fig. 1, 4,08 g, 15 mm, bel or jaune, Nouvel Atlas, t. IV, DT S 2543 A.
(5) Idem, fig. 11-14, pl. p. 18 et Nouvel Atlas, supplément t. IV, DT S 2563 A et B.
(6) L.-P. DELESTRÉE et K. MEZIANE, « Le coin monétaire gaulois d’Arquian (Nièvre) », CahNum 198, décembre 2013, p. 7-10, pl. p. 9.
(7) Nouvel Atlas, supplément t. IV, série S 409, pl. VII.
(8) Supra n. 2, CahNum 166, p. 16-20.
(9) Idem, CahNum 166 p. 21.
(10) Idem, CahNum 166, p. 18, fig. 10.
(11) Idem, CahNum 166, p. 21-22.
(12) L.-P. DELESTRÉE, « Contextes archéologiques et numismatique gauloise : exemples significatifs dans le nord-ouest », Revue numismatique 173, 2016, p. 139-169.
(13) J.-N. BARRANDON et alii, L’or gaulois, Cahiers Ernest Babelon, CNRS, Paris 1994, p. 81 sq.
(14) J. GORPHE, Le trésor de Tayac, Saint-Germain-en-Laye, 2002, série 40, Les statères unifaces.
(15) L.-P. DELESTRÉE et S. WEROCHOWSKI, « Une série gauloise en or originale aux confins de la Normandie et de l’Armorique », CahNum 169, juin 2010, p. 5-9, pl. p. 6. N.A. t. IV, 2008, série S 337, DT S 2248 A-2248 E, pl. V et p. 52-53. E. VIOLLEAU, « Monnaies gauloises unifaces de l’Orne : complément d’inventaire », CahNum 184, juin 2010, p. 13-18.
(16) L.-P. DELESTRÉE et K. MEZIANE, Statères unifaces et monnaies d’or provenant du Gâtinais-Orléanais, Cah Num 203, mars 2015 p. 15-19 fig. 1 et 6.
(17) L.-P. DELESTRÉE et A. KERNEUR, « Le monnayage en or des Vénètes : nouvelles données et essai de synthèse », Cah Num 209, sept 2016, p. 13, M 36, pl. p. 11, Fig 36.
(18) Nous tenons à remercier chaleureusement Messieurs Thierry Bertzène, José de Sainte-Marie, Thierry de Craeker, Karim Meziane, Jean-Claude Bedel, sans la collaboration desquels cette étude n’aurait pas été possible.

Table des illustrations

Fig. 1 Groupe A, hémistatère A
Fig. 2 Idem, hémistatère B
Fig. 3 Idem, hémistatère C
Fig. 4 Idem, quart de statère D
Fig. 5 Groupe B, DT S 2561 B
Fig. 6 Idem, DT 2563
Fig. 7 Idem, quart de statère, 1,79 g, 11 mm, Arquian (Nièvre)
Fig. 8 Groupe C, hémistatère, 2,9 g, 14 mm, Marcilly-sur-Eure (Eure)
Fig. 9 Idem, hémistatère, 3 g, 14 mm, Dreux, « Les Osmeaux » (Eure-et-Loir)