par
JEAN-ALBERT CHEVILLON
Société d’Études Numismatiques et Archéologiques
Cahiers Numismatiques n°122 – décembre 1994
Dès que l’on se penche sur le contenu du trésor d’Auriol, on est frappé par l’étonnante diversité des motifs utilisés, par la dextérité des maîtres grecs qui ont su créer et façonner de si remarquables coins, enfin par la « facture » typiquement massaliète qui englobe toute la production. Ainsi, qu’ils soient de création pure ou d’inspiration, tous ces motifs d’avers, auxquels il faut rajouter le carré creux de revers, sont caractéristiques et se distinguent clairement des diverses émissions archaïques des autres cités grecques. Véritables supports de l’idéologie et de la culture des colonisateurs phocéens, ces motifs reflètent parfaitement les intérêts du moment. Leur comparaison avec les prototypes connus, l’interprétation des types originaux, puis leur classement chronologique nous permettent de mieux connaitre l’évolution du monnayage entre le dernier quart du VI è. et le milieu du V è. siècle avant J.C.
Notre étude porte sur un motif très peu répandu sur les monnaies de cette époque dont l’origine phocéenne est indéniable (1), et qui est connu à Massalia au travers du groupe au casque ionien (groupe N dans l’important ouvrage de référence d’A.E. FURTWÄNGLER) (2). L’auteur y détaille 24 exemplaires qu’il a pu étudier au cours de ses recherches et qui ont appartenu au trésor, et 1 exemplaire qui n’entre pas dans la composition du dépôt puisqu’il a été découvert sur le site de Beauregard à Orgon, Bouches-du-Rhône (spécimen N 23, page 185, planche 18) (3). Cependant, un certain nombre de différences qui semblent distinguer cette monnaie de l’ensemble stylistiquement et pondérale ment très cohérent des autres exemplaires nous ont amené à nous interroger. En particulier sur ce qui concerne la surprenante absence des volutes antithétiques qui ornent systématiquement tous les spécimens du trésor, sur la forme de certains éléments du casque, mais également sur la taille du motif qui paraît plus importante, enfin sur le poids lui-même qui, bien que la monnaie soit ébréchée, s’avère être le plus lourd du groupe (0,65 gr, module 8,3 – 8,7 mm). Néanmoins, l’état et l’unicité de cette monnaie ne pouvaient suffire pour apporter des réponses plus précises. Or, nos recherches nous ont amené à rencontrer en peu de temps 5 spécimens qui offrent les mêmes caractéristiques. Le premier a été proposé dans la vente de C. BURGAN du 03 juillet 1992 (n° 181, 0,76 gr, module 7,5 – 9 mm) (4). Les quatre autres exemplaires appartiennent à des collections privées et pèsent respectivement : 0,63 – 0,76 – 0,85 – 0,86 gr, pour un module moyen de 8,5 – 9,4 mm. Les degrés de conservation sont inégaux mais les 2 exemplaires les plus lourds présentent une qualité de frappe et un degré de conservation qui nous permettent de cerner au mieux cette série. L’étude stylistique nous ayant amené à différencier à l’intérieur de cet ensemble 2 émissions distinctes, nous parlerons de l’émission au casque sans charnière et de celle au grand casque avec charnière. La description des 6 exemplaires est la suivante:
1ère émission : CASQUE SANS CHARNIERE
1. Avers : Casque ionien à droite, partie haute de forme ovoïde, sans volute antithétique.
Absence de charnière. Couvre-nuque particulièrement effilé vers l’arrière. Couvre-joue plongeant en pointe vers l’avant. Ensemble compact et bien proportionné, relief moyen.
Revers : carré creux irrégulier .
Poids : 0,85 gr Module: 9,3 – 9,9 mm (Collection privée, Montpellier, Hérault)
2. Avers : même description, liaison de coin possible avec la monnaie 1, flan irrégulier.
Revers : carré creux, coin identique au revers 1.
Poids : 0,76 gr Module: 8,4 – 9,9 mm (Collection privée C. LAROZAS, Laudun, Gard)
3. Avers : Représentation à relief accentué et à bordures particulièrement épaisses. Coin plus petit. Style plus imparfait, taille plus lourde. L’ouverture de l’œil et le couvre-joue sont mal rendus.
Revers : carré creux.
Poids : 0,76 gr Module 7,5 – 9 mm (Vente BURGAN du 03 juillet 1992, n°181)
2ème émission : GRAND CASQUE AVEC CHARNIERE
4. Avers : Casque ionien à droite de grande dimension sans volute antithétique, charnière marquée de 4 gros globules. Couvre-nuque s’étirant en pointe vers l’arrière.
Eléments nettement dissociés caractérisés par des rebords à fort relief.
Revers : carré creux
Poids : 0,86 gr Module: 9 – 9,4 mm (Collection privée J.A. CHEVILLON, Valréas, Vaucluse)
5. Avers : Même description, coin différent, 2 globules seulement pour la charnière.
Flan cassé.
Revers : carré creux
Poids : 0,65 gr Module 8,3 – 8,7 mm (A.E. FURTWÄNGLER n° N 23)
6. Avers : Casque schématisé, orifice de l’oeil très large, charnière à 3 globules, cimier et nasal dans l’alignement.
Revers : carré creux
Poids : 0,63 gr Module 8,8 – 9,5 mm (Collection privée, Gard)
En examinant cette série, il est tout d’abord frappant de remarquer la diversité de la qualité stylistique des gravures qui proviennent de graveurs bien différenciés dont le talent artistique ne peut se comparer (5). Pour exemple l’avers 4 dont les éléments sont bien proportionnés et donnent un motif équilibré, et l’avers 3 dans lequel les « faiblesses » stylistiques apparaissent nettement. Malgré cela les caractéristiques principales de cette émission sont maintenues et s’imposent sur les 6 exemplaires étudiés. Ainsi, il est clair que les volutes antithétiques ne figurent sur aucun de ces spécimens, alors qu’ils sont toujours présents sur l’ensemble des monnaies du groupe N. Il en va de même pour le couvre-nuque qui s’étire très largement vers l’arrière (voir en particulier monnaie 1, 2 et 4), alors qu’il reste systématiquement court sur les exemplaires du trésor. Autre trait commun à ce nouvel ensemble: un traitement et une exécution plus schématiques du motif qui tendent à dissocier chacun des éléments du casque et à accentuer les contours au dépens du relief. Le couvre-joue, en particulier sur la série 2, est en creux et il est simplement délimité par un rebord épais. Ce qui n’es t pas le cas du groupe N qui offre un motif et un modelé des plus classiques. Si l’on suit l’évolution de ce motif au travers des prototypes que constituent les héctés d’électrum de Phocée, on constate qu’au VI è. siècle il s’agit d’un casque à visage qui, au siècle suivant devient un casque simple comparable à celui du groupe N. Notre série offre un motif encore plus dépouillé et des évolutions de forme inédites qui semblent indiquer que nous nous trouvons en présence des toutes dernières interprétations de ce motif pour cet Atelier. L’étude métrologique nous donne d’importants renseignements permettant de les distinguer définitivement. Ainsi, le module moyen des monnaies du groupe N est de 7 – 8 mm et le diamètre apparent du casque ionien est de 5 mm, alors que sur les exemplaires présentés le module moyen est de 8,5 – 9,4 mm pour un diamètre moyen du casque de 6 mm (6,5 mm pour l’émission au grand casque avec charnière). Au niveau pondéral, même constatation, le groupe N d’Auriol présente un poids moyen de 0,58 gr alors qu’il est de 0,75 gr (avec une monnaie ébréchée) dans cette nouvelle série. A noter que 2 spécimens pèsent respectivement 0,85 et 0,86 gr, et que la plupart des exemplaires offrent des traces d’usure importantes. Sachant que le groupe N est à rattacher sans équivoque à l’ensemble des hémioboles d’étalon milésiaque de la période d’émission B (490-485 – 460 avant J.C), dont le poids théorique est de 0,60 gr, il est clair que nos monnaies ne peuvent s’apparenter à celui-ci. Il faut par contre les rapprocher, à notre avis, de séries qui viennent d’être étudiées il y a peu par A.E. FURTWÄNGLER dans un recueil de travaux intitulé « Etudes offertes à Jean SCHAUB » (6), dans lequel il met en valeur des émissions frappées aux alentours de 470 avant J.C, non représentées au sein du dépôt, mais qui reprennent pour la plupart les types des anciennes émissions de 490 – 480 en les modifiant légèrement. Ces pièces se révélent toutes être des oboles phocaïques (équivalence de poids avec les tritartémoria milésiaques) poids théorique : 0,90 gr. On y retrouve une émission à la tête d’Apollon au crobylos qui correspond à une reprise du groupe C du trésor, mais également la réutilisation du type du groupe E à la tête d’Athéna coiffée du casque attique, avec une variante dans laquelle on trouve une tête d’Athéna coiffée du casque corinthien. Nos monnaies s’insèrent de par leur style et leur métrologie parmi ces séries, en reprenant le type du groupe N des années 480 (7). C’est certainement le caractère tardif de ces émissions qui explique leur absence du trésor ; frappées quelque s années avant la date d’enfouissement elles n’ont pas fait partie du stock thésaurisé dans lequel on rencontre au contraire pratiquement toutes les premières émissions de Massalia.
Il est certain que l’utilisation de ces séries s’est prolongée, et qu’elles vont même se mélanger pendant quelque temps aux monnayages classiques qui vont leur succéder.
Ainsi, il semble évident aujourd’hui qu’un certain nombre d’émissions archaïques aient vu le jour vers les années 475 – 465 avant J.C, reprenant en les modifiant les vieux types déjà utilisés au cours des années 490-480. Ces groupes s’apparentent donc à des séries d’oboles phocaïques ou tritartémoria milésiaques dont le poids se situe autour de 0,90 gr. Les monnaies présentées ici sont à rapprocher typologiquement du groupe N au casque ionien du classement d’A.E. FURTWÄNGLER, mais forment un ensemble doté de spécificités bien précises qui nous permettent de le rattacher avec certitude aux quelques séries d’oboles « tardives » non représentées dans le trésor. On peut dire que la frappe de ces monnaies, caractérisée par le carré creux incus du revers n’a pas été prolongée très longtemps et qu’après une courte période de transition pendant laquelle quelques séries mixtes très limitées sont émises (avers archaïque, revers au crabe ou à la roue) (8), on assiste à la création de types nouveaux (obole au crabe, tête casquée…) (9) qui vont définitivement supplanter les émissions archaïques et dans lesquelles des influences extérieures se font fortement sentir en provenance de la Grande-Grèce et en particulier du sud-est de la Sicile.
NOTES
(1) Ce type monétaire est spécifique à la zone ionienne, il fut principalement utilisé par la Cité de Phocée.
(2) A.E. FURTWÄNGLER : Monnaies grecques en Gaule, le trésor d’Auriol et le monnayage de Massalia, Fribourg, 1978.
(3) Il est intéressant de noter que sur ce site l’ auteur signale qu’une autre monnaie archaïque fut mise au jour et qu’il s’agit d’un spécimen « apparenté » au monnayage d’Auriol dont le type est celui de la tête d’Athéna au casque corinthien, p. 39 à 40.
(4) C. BURGAN rapproche lui-même cet exemplaire du spécimen N 23 dans sa vente sur offres du 03 juillet 92, p. 21.
(5) A l ‘exception des monnaies 1 et 2 qui présentent une liaison de coin de revers indéniable et qui possèdent un avers comparable, si ce n’est identique.
(6) A.E. FURTWÄNGLER : Massalia im 5. jh.V. chr.:traditionund neueorientierung, dans Etudes offertes à Jean SCHAUB, publication du parc archéologique européen, REINHEIM, 1993-1, p. 431 à 448.
(7) Nos vifs remerciements vont à A.E. FURTWÄNGLER qui a bien voulu nous donner son avis sur ce monnayage.
(8) A ce sujet, voir notre étude: J.A. CHEVILLON, Quelques monnaies archaïques de Provence, Cahiers Numismatiques n°106, décembre 1990, p. 11 à 17.
(9) Se reporter au travail de C. BRENOT : Une étape du monnayage de Marseille: les émissions du V è s. av. J.C, dans Marseille grecque et la Gaule, collection études massaliètes 3, 1992, p. 245 à 253.