par
LOUIS-POL DELESTRÉE & MARCEL TACHE
Société d’Études Numismatiques et Archéologiques
Cahiers Numismatiques n°216 – juin 2018
I) État des connaissances
En 1970, J.-B. Colbert de Beaulieu publiait un ouvrage intitulé « Les monnaies gauloises des Parisii » (1) dont l’objectif principal était de procéder au classement typo-chronologique des émissions en or attribuées à ce peuple.
Se fondant sur le matériel dont il disposait alors et sur les travaux précédents de G. Fabre et de M. Mainjonet (2) suite à la découverte du trésor de Puteaux (1950), Colbert distingua sept classes de statères et divisions en fonction de critères typologiques et pondéraux plus ou moins significatifs et discutables. Il ne pouvait s’agir pour cet auteur que d’une émission produite continûment par un atelier central à la disposition d’un pouvoir politique ayant autorité sur un « État-nation », en l’espèce celui des Parisii. Il s’ensuivait que l’ordre des classes constituait pour Colbert une séquence chronologique dont il situait le point de départ autour de l’année 100 a. C. (3). Une datation aussi basse était la conséquence d’une double pétition de principe.
D’une part, Colbert estimait qu’en raison d’une prétendue hégémonie monétaire des Arvernes, les émissions des Cités devenues indépendantes ne pouvaient avoir eu lieu qu’après la date fatidique de -121, qui marquait la victoire de Rome sur « l’empire arverne ». L’on mesure à présent les conséquences erronées d’une telle vision (4).
D’autre part, cet auteur considéra que les premières « émissions nationales » des Parisii ne pouvaient être que postérieures à la rupture de leur « sympolitie » avec les Sénons, intervenue, selon P.-M. Duval, vers 103 a. C (5).
Ainsi, tout le monnayage attribué aux Parisii aurait été comprimé entre le début du Ier s. a. C. et le début de la Guerre des Gaules… Il n’est pas surprenant dans ces conditions que le classement de Colbert ait été écarté par les spécialistes dès la fin du XXe s.
C’est ainsi que J. Sills, dans son important ouvrage de 2003 (6), rejeta le postulat d’un « monnayage national » aussi tardif et construisit une typo-chronologie fondée sur une pluralité d’ateliers non rattachés, semble-t-il, à un pouvoir politique centralisé, et dont les productions purent avoir été en partie synchrones. Notre collègue britannique intégra dans son étude de précieuses données dont ses prédécesseurs ne disposaient pas. En particulier, la trouvaille dite de Sarcelles-Gennevilliers en proche banlieue parisienne offrait plusieurs statères et divisions (7) fortement inspirés du monnayage belge « au flan large » au point que certains auteurs avaient vu dans cette nouvelle série, complétée par plusieurs trouvailles isolées, une nouvelle classe de cette série belge abusivement attribuée aux Ambiani (8).
Table des illustrations
Cette présentation simplifiée des monnaies en or des Parisii est conforme à la construction de J. Sills et inclut plusieurs données nouvelles réunies depuis le début du siècle
J. Sills distingua trois ateliers :
1) Un atelier A comprenant sept classes, dont les classes 1 et 2 n’étaient autres que celles représentées dans le trésor de Sarcelles et considérées comme les plus anciennes (Fig. 1 à 3).
Pour des raisons essentiellement typologiques, J. Sills enchaîna dans un ordre différent de celui de Colbert une classe 3 et une classe 4 (respectivement classe IV et II de Colbert), puis une classe 5 (la même classe V que celle de Colbert), dont au moins 130 statères sont connus compte tenu de l’apport considérable des 120 statères du trésor de Puteaux. J. Sills ajoute une classe 6 qui avait été considérée par Colbert comme une simple variété de sa classe V (9).
La classe 7 finale de Sills, avec quelques variétés ajoutées, correspond à la classe VII de Colbert (10).
2) Un atelier B, comportant deux classes en continuité typologique qui correspondent, à quelques détails près, aux classes I et VI de Colbert, avec des lacunes de classement pour les divisions en raison du nombre réduit des quarts connus (11).
3) Un atelier C, auquel serait due l’émission d’une série dite « homotypique » par Colbert (12). Le type « de Bonneval » représenté par une galvanoplastie d’un seul exemplaire connu et disparu, dont Colbert avait fait la classe III de son classement général (13), n’était évoqué que subsidiairement.
II) Données nouvelles et constats
Le système de Colbert eut le mérite, en son temps, d’ordonner un ensemble monétaire qui ne l’était guère, en dépit du prestige dont l’entouraient les auteurs du fait de son attribution traditionnelle au peuple des Parisii. Avec juste raison, J. Sills y substitua une construction très différente, quelque peu intuitive, mais qui avait l’avantage de faire sauter le verrou chronologique du point de départ des émissions parisiaques, et d’en redéfinir les typologies dans la structure souple d’une pluralité d’ateliers sur une longue durée, excluant ainsi la doxa d’une séquence de classes plus ou moins arbitraire dans un espace de temps trop restreint. C’est donc sur la base de l’étude de J. Sills que nous ouvrirons un premier débat en fonction des nouvelles données qui sont venues au jour depuis 2003. Faute de pouvoir offrir aux numismates un système plus solide, nous nous garderons de dénigrer, en sa forme actuelle, celui proposé par notre collègue anglais. Pourtant, l’hypothèse très plausible d’une pluralité d’ateliers dont chacun aurait produit une série monétaire significative ne peut être à notre sens ni confirmée, ni infirmée faute de constats déterminants. Aussi bien, sur les chronologies absolues et relatives, les fouilles n’ont-elles jamais livré, à notre connaissance, de monnaies en or parisiaques susceptibles d’en permettre la datation, même approximative.
En d’autres termes, les exemplaires connus et inventoriés sont soit sans provenances, soit issus de trésors parfois importants comme ceux de Puteaux, de Charenton par exemple, mais dépourvus de contextes internes, soit trouvés isolément lors de ramassages de surface. Dans ces conditions, nous tenterons d’intégrer les données nouvelles, venues au jour depuis le début des années 2000, dans l’essai de synthèse de J. Sills sans en modifier en profondeur les lignes directrices.
II-1) Il apparut, récemment encore à l’étude des hémistatères de Drocourt (Yvelines) du type « au fleuron » et à flans larges (14), que des émissions locales et sûrement pas civiques, directement dérivées des statères « à flan large » (Nouvel Atlas, t. I, série 11, pl. III-V) avaient eu lieu en aval de Paris jusqu’à Rouen, sur la rive droite de la basse vallée de la Seine. Nous citions, en amont de ce mouvement, la série au type « de Sarcelles-Gennevilliers » en suite directe de la considérable série des statères belges et brittoniques « à flan large » (supra n. 14). Nous pensons que J. Sills a eu raison d’en faire les classes 1 et 2 (Fig. 1 à 3) les plus anciennes de la séquence typologique qu’il attribue à son atelier A. Aussi bien cet auteur avait-il doté d’une datation haute, dès le début de la première moitié du IIe s. a. C. les statères « à flan large » qui circulaient dans le Belgium et au sud-est de l’Île de Bretagne. Rappelons que cette série « à flan large » était massivement représentée dans le célèbre trésor de Tayac dont le dépôt peut être désormais daté des années 140/130 a. C. Il est d’ailleurs probable que les statères de Sarcelles-Gennevilliers, dont les poids sont comparables à ceux des plus lourdes espèces « à flan large » (15) furent antérieurs aux série des hémistatères à flan large des types « au fleuron » (Nouvel Atlas, t. II, série 405) et « au loup sous le cheval » (Nouvel Atlas, t. II, série 396) dérivés des mêmes prototypes.
Ainsi, la combinaison typo-chronologique des types de Sarcelles et des statères à flan large permettrait de remonter vers la fin de la 1re moitié du IIe s. a. C. l’apparition des premières monnaies d’or parisiaques.
II-2) Revenons aux classes II et IV de la typologie générale de Colbert, devenues les classes 4 et 3 de Sills qui adoptait, ce faisant, une chronologie relative dans l’ordre inverse de celui fixé par son prédécesseur. À vrai dire, les raisons de différencier ces deux « classes » étaient bien minces. Les compositions frappées sur les statères étaient pratiquement analogues :
Au droit, l’effigie à droite du type Sills classe 3 pourvue d’un nez pointu (Fig. 4) est légèrement moins régulière que celle du type Sills classe 4 dont le nez est droit (Fig. 6).
Au revers, les compositions sont identiques dans les deux « classes » : le décor « en filet », au dessus du cheval à gauche, a l’aspect d’un éventail largement ouvert.
Les compositions des divisions sont, au droit, analogues à celles des statères. En revanche, au revers, le dessin du décor « au filet » semblait différer selon que l’effigie du droit montre le nez droit ou le nez pointu. Dans le premier cas, Colbert (classe II) et Sills (classe 4) s’accordent pour relever un décor en filet de bel effet iconographique en forme d’aile à l’envers au dessus du cheval à gauche. Dans le deuxième cas (Colbert classe IV et Sills classe 3) le décor en filet est le même que celui des statères, en large éventail ouvert. Ainsi, la forme du décor « en filet » serait le critère d’un passage de la classe 3 à la classe 4 de Sills (atelier A) au moins pour les divisions.
Une trouvaille venue récemment à notre connaissance abolit cette distinction entre les classe 3 et 4 de Sills. Sur un chantier proche du village de Lieusaint (Yvelines), trois quarts de statère avaient été trouvés naguère dans les déblais d’un terrain en construction et conservés par leur inventeur.
a) Quart, or, 1,76 g, 13-14 mm, (Fig. 9)
Droit : effigie à droite au nez pointu
Revers : cheval à gauche surmonté du décor en forme d’aile inversée.
b) Quart, or, 1,70 g, 13-14mm (Fig. 8)
Issu du même couplage de coins que le quart précédent.
c) Quart, or, 1,69g , 11-12 mm, (Fig. 10)
De même type que les quarts précédents, mais issu d’un couplage de coins différent, identique à celui de l’exemplaire SN 475 du MAN, 1,72 g, 12 mm, (Fig. 7)
Au moins les deux premiers quarts offrent au droit l’effigie au nez pointu et retroussé, et au revers le motif au filet en forme d’aile inversée. Or, il nous est apparu qu’un quart représenté dans le Nouvel Atlas (t. I, série 12, DT 82, pl. IV) (16) était issu du même coin de droit que les deux premiers quarts précités (Fig. 5). Cet exemplaire DT 82, qui appartient à la collection Danicourt conservée au musée de Péronne (Somme), offre au revers le classique décor au filet disposé en éventail très ouvert. Il s’agit donc pour les trois pièces d’une même émission dans le même atelier (Mint A de Sills) où les quarts des deux classes supposées étaient frappés indifféremment soit au motif du filet en éventail, soit du filet en aile à l’envers (encart Fig. 11)
Un tel fait numismatique a pour conséquence de rendre artificielle la distinction de deux classes (II et IV de Colbert et 3 et 4 de Sills) qui ne sont que des variétés synchrones produites par des monnayeurs au sein d’un même atelier. Les analyses métalliques et métrologiques vont aussi dans le sens d’une classe unique. J. Sills note que la proportion d’or fin se situe pour les statères de ses classes 3 et 4 entre 64,2 et 68,5 % avec un pic à 69,2 % pour une variété de sa classe 4 (17). De même, les poids des statères des deux « classes » se situent essentiellement dans la fourchette de 7,20 g/7,39 g (18), sans qu’il soit possible de définir un indice pondéral privilégié pour les statères de la prétendue classe 3 dont l’effectif est très faible, puisqu’il se limite à sept exemplaires pris en compte.
II-3) Colbert, dans sa classe V (statère Fig. 12 et quart Fig. 13) relevait une « variété » représentée par un statère BnF 7788 sans provenance (Fig. 14), sans doute parce qu’un exemplaire de même type aurait été identifié par M. Mainjonet (19) dans le trésor de Puteaux constitué presqu’exclusivement de statères de sa classe V (20). J. Sills fit de cette « variété » originale et insolite au sein de la classe V de Colbert (= classe 5 de Sills) une classe 6 dans les émissions de son atelier A (Fig. 14).
Or, un coin du revers de cette classe 6, dont seulement six exemplaires sont répertoriés, vint à notre connaissance et fut publié en 2014 (21). Ce précieux outil monétaire proviendrait du département de l’Yonne et aurait été perdu là-bas – ou rejeté après avoir beaucoup servi – par un atelier itinérant, très en amont de Paris, sur les territoires sénones.
Cet atelier, s’il s’agit bien du « Mint A » de J. Sills, était donc mobile et en mesure d’émettre de la monnaie au delà de la région parisienne, chez les peuples limitrophes.
II-4) La série parisiaque dénommée par Colbert « homotypique » représente pour J. Sills la production d’un atelier C (supra n. 12) et n’était représentée que par le statère BnF / LT 7816 sans provenance et par une quinzaine de divisions dont plusieurs provenances étaient connues (Fig. 21 et 22) .
Au début des années 2000, un statère analogue vint à notre connaissance (or, 7,55 g, 23 mm) et fut mentionné dans le supplément du Nouvel Atlas (t. IV, série 411, sous la référence DT S 2420 A (Fig. 20). Ce deuxième exemplaire connu issu d’un couplage de coins différent de celui de BnF 7816, provenait des alentours de Gaillon (Eure) (22), sur la rive gauche de la basse vallée de la Seine.
Il apparaît ainsi que cette série bien spécifique a très largement circulé autour de la région parisienne de Noyon au nord de l’Oise jusqu’à Saumur (Maine-et-Loire) sur un axe nord-sud et de Gaillon (Eure) jusqu’à Bar-sur-Aube (Aube) sur un axe est-ouest (23). Pour cette série, l’appellation « parisiaque » est justifiée par les compositions iconographiques des deux statères et des divisions, directement inspirées par les droits et revers des espèces réputées produites par les ateliers A et B de J. Sills, dont les mêmes thèmes ont été repris au gré d’une stylisation presque « moderniste » du plus bel aspect.
Il est à noter que le poids du nouveau statère DT S 2420A est proche du poids de l’exemplaire BnF 7816 (7,48 g) et que l’indice pondéral privilégié des divisions s’établit entre 1,85 g et 2,04 g (24).
III) Discussion
En l’état de la documentation dont nous disposons à présent, il est permis d’affiner la typo -chronologie des séries en or parisiaques, dans le cadre, peut-être provisoire, de la construction de J. Sills.
A) Revenant à son atelier A, il serait à notre sens opportun de ne pas s’illusionner sur la valeur des « classes » ni de les considérer comme les jalons successifs d’une séquence chronologique précise. L’on connaît trop bien les ambiguïtés qui s’attachent à la notion de « classe » que l’on confond trop souvent avec celle de « variété » au sein d’un ensemble synchrone (25). Pour Colbert lui-même, les « classes » ne sont rien d’autre que les variations d’un même thème typologique. La vraie question est de savoir quand une variation de thème est suffisamment significative pour justifier la formation d’une « classe » et servir de jalon dans une chronologie relative.
Si la production de l’atelier A s’est étendue comme semble l’admettre J. Sills sur plus d’un demi siècle, il convient à notre sens de considérer trois phases successives :
1) Une première phase représentée par la série de Sarcelles-Gennevilliers serait la plus précoce et pourrait remonter au milieu du IIe s. a. C. (LT C2-LT D 1).
2) Une seconde phase succéderait à la précédente et ferait l’objet d’émissions de types assez similaires durant tout le 2e tiers du IIe s. a. C. jusqu’au début du Ier s. a. C. L’ordre des émissions pourrait être celui proposé par J. Sills.
D’abord, ses classes 3/4 qui n’en forment qu’une seule comme nous l’avons montré, et dont l’apport typologique majeur est bien sûr le décor en filet disposé soit « en éventail », soit « en aile à l’envers » sur les revers des divisions. L’effectif des statères de cette classe 3-4 dont la provenance est connue s’avère beaucoup trop faible pour qu’une carte de répartition soit significative. La dispersion de ces pièces ne paraît pas limitée à la région parisienne, puisqu’un exemplaire « au nez droit » a été trouvé récemment sur la commune du Molay-Littry (Calvados) (26).
Ensuite, sa classe 5 représentée par un effectif important grâce au trésor de Puteaux et dont le motif « en aile à l’envers » se généralisera sur les divisions, puis sa classe 6 qui n’est peut-être qu’une variété contemporaine de la classe 5.
3) Une troisième phase, la plus tardive, consiste en quelques rares pièces (27) formant la classe 7 de Sills, qui distinguait deux variétés dans la classe VII de Colbert. Ces espèces, en or pâle, de flan court, épais, irrégulier, de poids < 6,90 g et de style rude, dérivent des statères « au nez droit » des classes 3/4 et 5 de Sills. Il s’agit là sans doute d’un monnayage de nécessité émis au début de la guerre des Gaules et qui peut avoir circulé jusqu’au début de la période post césarienne (Fig. 15)
B) À notre connaissance, aucune donnée nouvelle n’est venue modifier la vision de J. Sills sur son atelier B. En l’état, plusieurs questions se posent au sujet des deux « classes » qui s’y rapportent.
D’abord, l’apparition de la classe 1 (Fig. 16-17) : certes, la composition dérive du revers d’un type de Sarcelles-Gennevilliers (Nouvel Atlas, t. I, DT 73) mais l’adoption du motif « au filet » , en éventail ouvert, atteste une étroite parenté avec les statères du début de la phase 2 de l’atelier A , plus précisément avec ceux de la classe 3-4 de Sills, dont les poids moyens s’établissent dans la fourchette de 7,20 g/7,30 g. Il n’est pas possible de préciser en l’état lequel des deux ateliers aurait eu la primeur du motif « au filet » disposé en éventail. Quoiqu’il en soit, l’émission constituant la classe 1 de Sills devrait être contemporaine de celle des premiers statères de la classe 3-4 de l’atelier A, c’est à dire au début du 3e tiers du IIe s. a. C. (LT D1a).
Ensuite, l’on peut se demander quelle est l’origine de la classe 2 de l’atelier B (Fig. 18-19). Il n’est en effet pas évident qu’elle dérive directement de la classe 1 précitée, ni par son style, ni par sa structure. Cette classe 2, frappée sur de larges flans minces, éprouvés, est beaucoup plus proche de la classe 5 de l’atelier A, dont elle ne diffère que par quelques détails de style. Comme l’a noté J. Sills, plusieurs ajouts de motifs décoratifs dans le champ du revers peuvent suggérer une postériorité de la classe 2 de l’atelier B par rapport aux émissions finales des classes 5-6 de l’atelier A. Les poids moyens de ces émissions sont analogues et s’établissent entre 6,90 g et 7,10 g (statère Fig. 18). Bref, cette classe 2, considérée comme une émission générée par l’atelier B, nous paraît être l’élément le plus fragile de la construction de J. Sills.
C) L’existence d’un atelier C, auteur d’une émission spécifique quoique inspirée des thèmes parisiaques tant au droit qu’au revers où l’on retrouve le décor « au filet » disposé en éventail, est pour nous fort vraisemblable. Selon J. Sills, le début de cette émission insolite dans l’ensemble du monnayage des Parisii, pourrait se situer, en ne considérant que les quarts nombreux grâce aux trésors de Charenton (avant 1866 et 1904), vers la fin de la phase 2, soit en regard de la classe 5 de l’atelier A, soit en regard de la classe 2 de l’atelier B lorsqu’ils portent des traces d’épreuves (28).
Mais en examinant les statères et notamment celui de Gaillon (Eure) (Fig. 20) une autre éventualité qui n’avait pas échappé à J. Sills paraît plausible. La typologie du droit montre clairement que le graveur a repris l’effigie du droit du statère de la classe 1 de l’atelier B dont le profil est souligné par un grènetis qui fait le tour du visage et se termine par deux boucles opposées devant la bouche et le nez, et l’a simplifiée en réduisant la chevelure à quelques signes en S opposés.
Il en va de même pour la composition du revers bien que la rosace perlée se retrouve sous le filet en éventail et non sous le cheval à gauche. Bref, le statère de l’atelier C offre une stylisation précise et très réussie des thèmes traités sur la classe 1 de l’atelier B dont l’émission est sans doute antérieure à la fin de la phase 2 de l’atelier A. De plus, les poids moyens des statères et des divisions en bon or sont sensiblement plus élevés que ceux de la classe 5 de l’atelier A et de la classe 2 de l’atelier B, puisque les deux statères de l’atelier C pèsent respectivement 7,48 g et 7,55 g et que l’indice pondéral privilégié des divisions se situe entre 1,90 g et 2,10 g (29).
Notons aussi que la très large distribution des provenances connues, autour de l’épicentre parisien, suggère une circulation pendant une certaine durée.
Tout cela nous conduit à privilégier une datation qui a suivi de peu celle de la classe 1 de l’atelier B, au début du 3e tiers du IIe s. a. C.
Conclusion
Durant plus de trois décennies, la typochronologie des émissions parisiaques a été faussée en raison d’une présomption donnée pour irréfragable par ses auteurs, mais en définitive fort mal fondée.
En bref, les Parisii n’auraient émis leur « monnayage national » qu’après leur sécession tardive d’avec le peuple des Sénons. Certes, César a précisé (Bellum Gallicum, VI, 3) par une formule que d’anciens auteurs ont sur-interprétée, que « les Parisii étaient limitrophes des Sénons et avaient uni leur cité aux Sénons, du temps de leur pères » (30). Cela ne signifie nullement que les deux peuples n’aient formé qu’une seule « cité » où n’aurait été exercé qu’un seul pouvoir politique… ou financier.
Les exemples historiques sont nombreux, de peuples gaulois qui conclurent entre eux des alliances plus ou moins étroites, en conservant chacun leur identité et leurs monnaies. C’est ainsi que les Bellovaques qui avaient été « de tout temps les alliés et les amis des Éduens » (BG, II, 14) n’usaient que des monnayages du Belgium, ou que les Arvernes et les Allobroges, dont l’étroite alliance anti-éduenne (Florus, III, 3), militaire et commerciale prit fin après la victoire de Rome en -121, avaient conservé avant cette date leur propre monnayage en or et en argent.
À notre sens, un tel débat n’a plus sa raison d’être alors que la notion même de monnayage civique, chez les peuples de la Gaule, devient de plus en plus douteuse : il apparaît à présent, pour les auteurs les plus récents, que les pouvoirs émetteurs étaient exercés non par une autorité politique et régalienne au sommet d’un « État-nation », mais bien par des notables, aristocrates, négociants, chefs de guerre, qui faisaient appel à des ateliers itinérants sur leurs territoires pour obtenir les stocks monétaires dont ils avaient besoin (31). Si ces ateliers mobiles spécifiaient parfois leurs émissions au gré du commanditaire, les compositions iconographiques des monnaies étaient suffisamment proches pour que les notables pussent les accepter sans difficulté et commercer entre eux, sur le territoire – ou une portion du territoire – occupé par un peuple gaulois déterminé.
C’est probablement ainsi que furent émises, dès le milieu du IIe s. a. C. par des ateliers sans doute mobiles, les séries en or dites « parisiaques ». Au moins à l’époque de l’Indépendance, il est évident que le petit peuple des Parisii, à la charnière du sud du Belgium et du nord de la Celtique, tenait une place privilégiée, à notre sens d’ordre économique plus que militaire, en contrôlant les échanges commerciaux et le trafic fluvial sur l’axe est-ouest de première importance que constituait la Seine (32).
Notes
(1) J.-B. COLBERT DE BEAULIEU, Les monnaies gauloises des Parisii, Paris, 1970, 171 p.
(2) Idem, p. 42, notes 153-154.
(3) Idem, p. 119.
(4) L.-P. DELESTRÉE, « Colbert de Beaulieu et sa théorie des hégémonies monétaires », RBN, 162, 2016, p. 67-84. Actes du colloque tenu à Bruxelles, 27-28 nov. 2015 : Que reste t’il du traité de numismatique celtique ? Relire l’oeuvre de J.-B. Colbert de Beaulieu 1905-1995 vingt ans après.
(5) Telle était la vision de P.-M. Duval après que G. Fabre eut daté les premières émissions des Parisii dans le deuxième quart du Ier s. a. C. (G. FABRE, BSFN, juillet 1952, p. 130).
(6) J. SILLS, Gaulish and early british gold coinage, Londres, 2003, Chap 8. The coinage of the Parisii, p. 268-301, et Chap. 10. Chronology, p. 334-337 et 341-344.
(7) S. SCHEERS, « Le trésor de Sarcelles », RBN 124, 1978, p. 53-56. Catalogue de vente, Morlaix, 5 mars 1978, expert Piollet-Sabatier, p. 6, lots 102-106.
(8) L.-P. DELESTRÉE et M. TACHE, Nouvel Atlas des Monnaies Gauloises, t. I, 2002, « type de Sarcelles », DT 72-75, pl. IV.
(9) Il est bien utile, pour une bonne compréhension de la typologie de J. Sills, de consulter le tableau de concordance qui figure p. 269 de son ouvrage de 2003 (supra n. 6).
(10) J. SILLS, 2003, p. 270-271, Fig. 94-95 : typologie des monnaies des Parisii de l’atelier A.
(11) Idem, 2003, p. 286-287, Fig. 102, Typologie… atelier B.
(12) Idem 2003, p. 293, Fig. 106. J.-B. COLBERT DE BEAULIEU, 1970, « série homotypique », p. 141-150, pl. p. 142.
(13) J.-B. COLBERT DE BEAULIEU, 1970, p. 14-16. J. SILLS, 2003, p. 292-293, Fig. 106
(14) L.-P. DELESTRÉE et M. TACHE, « Un hémistatère inédit et hybride chez les peuples de la basse Seine », CahNum, 215, 2018 p. 15-20.
(15) J. SILLS, 2003, Chap. 3 : « Gallo-Belgic A » Tableaux de métrologie Fig. 30, p. 134 et Fig. 37 p. 148-149.
(16) S. SCHEERS, Danicourt, Fig. 195.
(17) J. SILLS, 2003, p. 280-281, tableau 31.
(18) Ibidem, p. 280, Fig. 98.
(19) M. MAINJONET, « Le trésor de Puteaux (Seine) », RN, 1962, p. 59-72, n° 59, « hors catalogue ».
(20) J.-B. COLBERT DE BEAULIEU, 1970, p. 20-21 « variété B » note 64.
(21) L.-P. DELESTRÉE et F. PILON, « Un coin monétaire d’une rare variété des statères des Parisii », CahNum 200, juin 2014, p. 15-22, voir pl. p. 17.
(22) La localité de Gaillon se situe dans l’Eure et non dans l’Eure-et-Loir comme il est indiqué par erreur dans le t. IV du Nouvel Atlas, p. 59.
(23) Voir J. SILLS, 2003, carte 34, p. 297.
(24) J. SILLS, 2003, Fig. 107, p. 295.
(25) P. CHARNOTET et D. HOLLARD, « Série, classe, groupe et variété : de quelques concepts colbertiens », RBN, 162, 2016, p. 35-52.
(26) P.-M. GUIHARD, « Un statère des Parisii découvert au Molay-Littry (Calvados) », BSFN, mars 2018, p. 72-79.
(27) Colbert ne dénombrait en 1970 que trois statères (dont BnF 7787 de 6,68 g) et J. Sills, en 2003, huit statères et quatre divisions. Depuis lors, plusieurs statères de cette classe 7 sont apparus sur le marché numismatique, dépourvus de provenances.
(28) J. SILLS, 2003, p. 298.
(29) Le poids de certaines divisions peut surprendre : c’est ainsi que la division DT S 2421A dont le poids s’élève à 2,35 g, a pu être considérée comme un tiers de statère léger…
(30) César, BG VI-3 : « Hi (Parisii) erant confines Senonibus conjunxerantque civitatem memoria patrum » Le verbe conjungere ne signifie rien d’autre que « lier ensemble, allier, unir » et parfois, « unir par les liens de l’amitié ».
(31) L.-P. DELESTRÉE, « Les pouvoirs émetteurs en Gaule, des origines à l’époque augustéenne », RBN, 163, 2017, p. 1-26.
(32) P.-M. GUIHARD, « Alliance monétaire et activités fluviales chez les Véliocasses et les Aulerques Éburovices entre les IIe et Ier siècles av. J.-C. », RBN, 158, 2012, p. 179-206.