Notes sur un Camée trouvé aux environs de Marseille, au Hameau des Olives entre Port Bouc et Martigues

 

JULIEN COUGNARD

Société d’Études Numismatiques et Archéologiques
Cahiers Numismatiques n°215 – mars 2018

 

Mes remerciements vont à Erika Zwierlein-Diehl pour ses précieuses observations

Ce camée trouvé en 1849 réapparaît sur le marché parisien lors de la dispersion de la collection J.A. Mariaud de Serres le 22 avril 2001¹. Il fut vendu accompagné de son écrin de maroquin rouge et de deux documents manuscrits relatant sa découverte et son histoire depuis sa mise à jour (fig.1 et 2).

Camée à deux couches, deuxième moitié du Ier s. av. J.-C., sardonyx blanche sur fond marron beige. Monture d’or à décor ajouré, début du IIIe s. ap. J.-C., dimensions du camée : 15 x 17 mm, avec monture : 21 x 25 mm.

Masque de Silène vu de trois quarts. Son crâne chauve est orné d’une couronne de feuilles de lierre et de corymbes. Ses sourcils arqués se terminent en crochet au-dessus du nez. Sa bouche et ses yeux sont ouverts de façon théâtrale, son nez court rappelle Socrate², de longues moustaches retombent sur une large barbe en mèches ondulées, l’intérieur de la bouche laisse deviner une rangée de dents à peine perceptible.

Vestige raffiné d’une époque de paix et d’opulence imprégnée de culture grecque, vieux de plus de deux siècles lorsqu’il fut serti, ce camée est sans aucun doute l’oeuvre d’un maître graveur exerçant à Rome à la fin de la République. La préférence pour les scènes dionysiaques et les têtes de trois quarts, l’utilisation habile de bouterolles, la gravure incisive et précise ainsi que le souci du détail rappelle les camées signés ou attribués à Sostratos³.

Silène éduqua, dit-on le jeune Dionysos. Il passait en effet pour un sage, un philosophe, mais la plupart du temps il se refusait à exercer ses talents et l’on devait l’y forcer. Vieillard jovial, Silène, monté sur un âne, suivait dans un état d’ivresse continuelle le cortège de Dionysos⁴.

A la fin de la République, le culte de Dionysos occupe une place prépondérante dans la mythologie et la culture romaine, exprimé avec abondance dans la sculpture, la peinture, l’orfèvrerie et la glyptique. Parallèlement, se développe l’engouement des romains pour le théâtre. En 50 av. J.-C., Pompée le Grand ouvre le premier grand théâtre permanent à Rome. Dionysos et Silène offrent un intérêt tout spécial pour la poésie, le drame est en effet né dans leur cercle. La Comédie provient des vers chantés lors de certaines fêtes champêtres dédiées à Dionysos⁵. Absents de la glyptique grecque, les masques de théâtre deviennent des sujets appréciés des graveurs de gemmes romains et de leur clientèle. Le dictionnaire grec Onnomastikon de Julius Pollux écrit sous le règne de Commode est un précieux document pour interpréter les différents masques gravés sur les gemmes. Au volume IV consacré à la musique, à la danse et au théâtre, Julius Pollux répertorie 76 masques tragiques, comiques et satyriques, on peut noter qu’il différencie le satyre barbu et le vieux satyre du vieux silène⁶.

Un camée de la collection du Baron Roger (vente Rollin & Feuardent)⁷, un autre au Cabinet des Médailles⁸, un troisième dans la collection Marlborough⁹ sont très semblables à celui trouvé au Hameau des Olives. L’intensité théâtrale de la gravure de ces quatre masques transmet une sévérité inhabituelle au visage jovial de Silène, ses sourcils arqués rappellent les masques de Pornobocos¹⁰, l’entremetteur. On peut également évoquer un magnifique masque de Silène Socrate taillé en haut relief sur une calcédoine dorée conservée au Cabinet des Médailles¹¹.
Sur cette taille d’un réalisme pénétrant, on retrouve également ces sourcils arqués par le regard de celui qui veut s’ingérer dans toute chose, allusion à l’ironie socratique, que l’on ne retrouve pas sur les portraits de marbre du philosophe.

Au début du IIIe s. ap. J.-C. notre masque de Silène est réemployé, serti dans un médaillon de type monétaire en or ajouré. A l’époque des Sévères, ces pendentifs monétaires deviennent très populaires, ils perdurent durant le Bas Empire et se retrouvent à l’époque byzantine.
La pierre est sertie dans un caisson ajusté et saillant autour duquel est soudée une bordure de feuilles d’or percée et découpée ou opus interasile. Malgré sa sobriété, le travail de la bordure est traité avec raffinement, le biseautage du haut des parties creuses fait jouer l’ombre et la lumière donnant ainsi une impression de relief.

Un collier trouvé à Naix-aux-Forges en 1809, maintenant au Cabinet des Médailles¹², est composé de cinq aurei et de deux camées (un buste de Faustine, un buste d’Athéna) montés en médaillon monétaire. Un autre camée lui aussi au Cabinet des Médailles représentant un remarquable portrait de Germanicus¹³ est monté de façon similaire. La collection Ferrell¹⁴ possède trois autres médaillons de type monétaire sertis de camées. Il semble que les pierres gravées en relief figurant des portraits soient privilégiées, un choix sans doute influencé par les avers des aurei, plus couramment utilisés dans la conception de ces médaillons.

 

fig.1 recto

 

fig.1 verso et fig.2

 

Retranscription Manuscrits (fig.1)

Notes sur un Camée (masque de Silène)

Ce camée fut trouvé en 1849 aux environs de Marseille près du bord sud de l’étang de Caronte, entre Port Bouc et les Martigues, sur un sentier conduisant de l’usine du Gros Mourre au Hameau des Olives.
Un ouvrier de l’usine sentit céder sous son pied une brique et il retira d’une cavité formée d’autres briques un médaillon d’or et une poignée de monnaies d’argent et de bronze aux effigies :
des Antonins : 96-193 ap. J.-C.
de Septime Sévère : 193-211
des Gordiens : 237-244
de Philippe : 244-249
La trouvaille fut achetée immédiatement par Mr Guillemin père, membre de l’Académie de Marseille. Il se rendit sur les lieux, reconnut un assemblage régulier de briques romaines et dans la cavité rectangulaire qu’elles formaient, il recueillit les restes d’un collier de perles de bois tombant en poussière et paraissant avoir porté le médaillon.
La cachette lui sembla devoir remonter jusque vers 250 car les dernières pièces, surtout celles de Philippe l’arabe, étaient des fleurs de coin.
Quelques années plus tard, Mr Guillemin fils présentait le camée au conservateur du cabinet des antiques pour en connaitre la valeur. Il lui fut répondu qu’on en ferait volontiers l’acquisition, si on voulait bien le céder mais que l’objet valait 1000 à 1200 pour un collectionneur.
En 1900 Mr Babelon reconnut dans ce camée un ouvrage grec au moins de l’époque d’Auguste avec une monture postérieure de deux siècles.
À cette époque (1900) la lacune de ce type avait été remplie à la bibliothèque nationale par un achat récent pour la collection des entailles antiques.

Notes sur un médaillon antique avec Camée Grec.

 

Retranscription Manuscrits (fig.2)

La famille Guillemin n’eut pour descendante qu’une jeune fille. Elle prit le voile et apporta en dot à son couvent le fameux camée, au début de 1900. À sa mort, le couvent mit en vente cet objet antique. Il fut acquis par la famille Mariaud de Serres aux environs de 1990.

J.A. Mariaud de Serres

 

Contenant et contenu de la trouvaille du Hameau des Olives

‘‘…un médaillon d’or et une poignée de monnaies d’argent et de bronze aux effigies des Antonins, de Septime Sévère, des Gordiens et de Philippe…’’ ; ‘‘…un assemblage régulier de briques romaines et dans la cavité rectangulaire qu’elles formaient, il recueillit les restes d’un collier de perles de bois tombant en poussière…’’ (fig.1)

On peut évaluer la poignée de monnaies à environ 100-150 pièces. ‘‘les restes d’un collier de perles de bois tombant en poussière’’ sont sans doute les restes d’un collier d’ambre. La petite taille de ce dépôt aurait pu évoquer une bourse égarée s’il n’avait été placé dans une cavité rectangulaire faite d’un assemblage régulier de briques romaines. La monture d’or du camée et la chronologie des monnaies rapprochent notre dépôt des trésors mixtes du IIIe s. ap. J.-C.

La Gaule est très généreuse en trésors de deniers et d’antoniniens d’argent enfouis au milieu du IIIe s. Cette abondance de trésors persiste avec les dépôts d’antoniniens de cuivre puis de folles jusqu’à la fin de l’époque constantinienne, conséquence des incursions germaniques, de l’instabilité politique, des razzias de bandes de brigands formées d’esclaves, de déserteurs et de paysans ruinés. L’enfouissement de ces trésors est plus important dans les deux tiers nord de la Gaule et semble absent du pourtour méditerranéen.

Les trésors du milieu du IIIe s. constitués majoritairement de monnaies d’argent choisies pour leur poids et leur titre, peuvent quelquefois être accompagnés de monnaies d’or et de bronze, mais aussi de bijoux et de vaisselle d’argent. Ils correspondent à un phénomène d’accumulation et d’immobilisation de métal précieux à des fins spéculatives et ceci à la veille de la crise économique qui sera perçue dans tout l’empire romain. Pouvant dépasser quelquefois les 20 000 monnaies, leur composition moyenne est de 1000 à 3000 monnaies, parfois beaucoup moins. L’un des plus importants, le trésor d’Eauze trouvé en 1992, comprenait 28 000 monnaies d’un poids total de 120 kg, 6 aurei dont 3 montés en pendentifs, 45 grands et moyens bronzes dont un médaillon de Marc Aurèle, un ensemble de bijoux, 4 bagues, 6 colliers et 5 paires de boucles d’oreilles, 3 bracelets, 7 cuillères d’argent, 2 couteaux à manche d’ivoire, 7 intailles non montées¹⁵.

Beaucoup de trésors mixtes ont été trouvés à Lyon, Vaise, Le Clos des Lazaristes, ou dans la région lyonnaise, à Sault-Brénaz (Sault-du-Rhône), Saint-Genis-Pouilly, Saint-Georges-de-Reneins¹⁶. Le trésor de Naix-aux-Forges, cité précédemment, mêlait monnaies d’argent, colliers, bagues, objets d’ivoire, statuettes, lingots d’argent, l’objet le plus spectaculaire restant le collier d’or constitué de sept médaillons monétaires¹⁷.

 

Lieu de trouvaille, histoire moderne

Afin de mieux situer l’usine du Gros Mourre proche du lieu de la trouvaille, je sollicitai l’aide de A.M. Mignacco des Archives Communales de la ville de Martigues que je remercie vivement, ses recherches fructueuses permettront aux services intéressés de mieux localiser l’endroit de la découverte.

Documents fournis par A.M. Mignacco, Archives Communales de la ville de Martigues :

« En réponse à votre demande, je vous transmets la photocopie d’une gravure imprimée et intitulée “vue de la fonderie de cuivre de Caronte” que je vous ai signalée. Ce document, extrait sans doute d’un ouvrage, est conservé sous cette forme isolée au musée Ziem de Martigues et daté de 1854. L’usine de Caronte est bien située au lieu dit l’usine du Gros Mourre et le hameau des Olives dépend du quartier Saint Pierre séparé du canal par une ligne de collines coupée de sentiers s’y rendant. Concernant l’usine du Gros Mourre, les archives départementales des Bouches du Rhône conservent, dans la série 14 M 12/17 établissements classés, demandes d’autorisation : un dossier de demande d’établir une fabrique de sulfate de soude au quartier du Gros Mourre. En 1847, dans le même dossier, figure une demande d’établir dans leur dépendance de leur fabrique de soude, des ateliers pour le traitement des minerais de cuivre provenant spécialement des mines de la Mouzaïa en Algérie. L’autorisation est accordée. »

 

fig.3 : Vue de la fonderie de cuivre de Caronte près des Martigues

 

‘‘Ce camée fut trouvé en 1849 aux environs de Marseille près du bord sud de l’étang de Caronte, entre Port Bouc et les Martigues, sur un sentier conduisant de l’usine du Gros Mourre au Hameau des Olives’’ ; ‘‘…Un ouvrier de l’usine sentit céder sous son pied une brique…’’ (fig.1)

Les précieux documents fournis par A.M. Mignacco nous permettent de mieux situer le lieu de la découverte et nous livre une information inattendue : en 1847, l’usine du Gros Mourre demande une autorisation d’établir dans leur dépendance de leur fabrique de soude des ateliers pour le traitement des minerais de cuivre provenant spécialement des mines de la Mouzaïa en Algérie¹⁸. Cette indication met à jour les liens entre l’usine du Gros Mourre et les mines de la Mouzaïa.

‘‘…La trouvaille fut achetée immédiatement par Mr. Guillemin père membre de l’Académie de Marseille…’’ (fig.1)

En parallèle, afin de mieux situer Mr Guillemin père, je consultai les Mémoires de l’Académie des sciences belles-lettres et arts de Marseille (1848-1849-1850)¹⁹ Mr Guillemin figure sur la liste des membres correspondants de l’Académie, à la date de réception de 1849, celle-ci précise sa fonction de directeur des mines de la Mouzaïa.

Le recoupement de ces deux informations nous amène à comprendre comment Mr. Guillemin directeur des mines de la Mouzaïa a pu rencontrer l’inventeur du trésor, ouvrier à l’usine du Gros Mourre, l’historique de cette acquisition témoigne du cheminement des trouvailles du XIXe s. vers la bourgeoisie érudite locale.

 


  1. Drouot Montaigne, Paris, 22 avril 2001, Collection Jean Alain Mariaud de Serres, n°58
  2. Platon, Le Banquet, 215 b : Alcibiade à propos de Socrate : ‘‘…il est tout pareil à ces silènes que l’on voit exposés dans les ateliers de sculpteurs…’’
  3. Marie-Louise Vollenweider, Die Steinschneidekunst und ihre Künstler in spätrepublikanisher und augusteischer Zeit, Baden Baden 1966, p.32, pl. 23-24-25-26
    Jeffrey Spier, Ancient Gems and Finger Rings, The J. Paul Getty Museum Malibu California 1992, cat. n°428 p.154
    Erika Zwierlein-Diehl, Antike Gemmen und ihr Nachleben, Berlin 2007, p. 112
  4. Irène Aghion, Claire Barbillon, François Lissarague, Héros et Dieux de l’Antiquité, Paris, 1994, p.272
  5. Maxime Gorce et Raoul Mortier, Histoire Générale des Religions, Grèce Rome, Paris, 1944, p.229
  6. Julius Pollux, Onomastikon, livre IV, paragraphes 133 à 154
    Musée Archéologique Lattes, Le goût du Théâtre à Rome et en Gaule Romaine, mars 1989, p.103
  7. Rollin & Feuardent, Catalogue des intailles, camées, marbres et bronzes provenant en partie de l’ancienne collection du baron Roger (1841), Drouot, 18-19 avril 1904, pl.VII, n°174
  8. Ernest Babelon, Catalogue des Camées antiques et modernes de la Bibliothèque Nationale, Paris 1897, pl.XI, n°106
  9. John Boardman, The Malborough Gems, Oxford 2009, n°517
  10. Marie-Louise Vollenweider, Catalogue raisonné des sceaux, cylindres, intailles et camées, volume II, Mainz,1979, n°324, 337
    Erika Zwierlein-Diehl, Die Antiken Gemmen des Kunsthistorischen Museums in Wien, Band I, 1973, n°335
    Francesco de Ficoroni, Le Mascherie Sceniche e le Figure Comiche d’Antichi Romani, Rome, 1736
  11. Ernest Babelon, Catalogue des Camées antiques et modernes de la Bibliothèque Nationale, Paris 1897, pl.X, n°104
    Marie-Louise Vollenweider, Camées et Intailles, Tome I, Les Portraits grecs du Cabinet des Médailles, Bibliothèque Nationale de France, Paris, 1995, pl.111, n°245
  12. Marie-Louise Vollenweider, Mathilde Avisseau-Broustet : Camées et intailles, Tome II, Les Portraits romains du Cabinet des Médailles, BNF Paris 2003, n°237
  13. Marie-Louise Vollenweider, Mathilde Avisseau-Broustet : Camées et intailles, Tome II, Les Portraits romains du Cabinet des Médailles, BNF Paris 2003, n°88
  14. Jeffrey Spier, Treasures of the Ferrel Collection, Wiesbaden 2010, n°49-52-53-55
  15. Francis Dieulafait, Hélène Guiraud, J.-M. Pailler, Daniel Schaad, Le Trésor d’Eauze, Toulouse 1987
  16. François Planet, Le Trésor de Vaise à Lyon, Annexe Les trésors anciens du Rhône et de la région Rhône Alpes, Lyon Dara 1999, p. 172
  17. Marie-Louise Vollenweider, Mathilde Avisseau-Broustet, Camées et intailles, Tome II, Les Portraits romains du Cabinet des Médailles, BNF Paris 2003, n°237
  18. Provence Historique, Enjeux spatiaux et technologiques de l’industrie marseillaise au XIXe siècle, Tome LI – fascicule 204, avril-mai-juin 2001 : ‘‘…Indispensable au fonctionnement de la savonnerie et de la verrerie, la soude chimique, dite artificielle est apparue sous le Premier Empire…’’ ; ‘‘…Face à la cherté croissante du soufre de Sicile, matière première indispensable dans la fabrication de l’acide sulfurique, les industriels se sont peu à peu convertis au système des pyrites de cuivre…’’
    Dictionnaire Universel Théorique et Pratique du Commerce et de la Navigation, Tome Premier A-G, Paris, 1859, p.310 : ‘‘…Les mines de cuivre de Mouzaïa, concédées en 1844, ont une superficie de 5,200 hectares, dans la chaîne de l’Atlas, au sud de Blida. Partie du minerai est exporté à Caronte, en France…’’
  19. Mémoires de l’Académie des sciences belles-lettres et arts de Marseille 1848,1849, 1850, Liste des membres correspondants de l’Académie, source gallica.bnf.fr Bibliothèque Nationale de France